L’affaire au Tribunal
L’année 2021 a marqué deux victoires historiques pour le climat :
Le 3 février, le tribunal administratif de Paris a reconnu :
- l’illégalité de l’inaction climatique de l’Etat, en jugeant que le non-respect par la France de ses budgets carbone sur la période 2015-2018 constituait une carence fautive ;
- la responsabilité de l’Etat, c’est-à-dire que l’Etat français est bien responsable de ces émissions de gaz à effet de serre excessives ;
- le préjudice écologique causé, autrement dit, que le non-respect par la France de ses engagements climatiques entraîne des dommages à l’environnement.
Le 14 octobre, ce même tribunal a ordonné à l’Etat de prendre “toutes les mesures utiles” pour réparer, d’ici au 31 décembre 2022, le préjudice écologique causé par le dépassement illégal des budgets carbone entre 2015 et 2018.
Le 25 janvier 2022, soit à 75 jours du premier tour de l’élection présidentielle française, les organisations de l’Affaire du Siècle appellent les candidat·e·s à présenter leurs engagements climatiques pour, évaluer leur capacité à sortir la France de l’illégalité climatique.
Suite aux recours portés par l’Affaire du Siècle et la commune de Grande-Synthe, l’État français a été doublement condamné pour inaction climatique et obligé à agir dès 2022. Une obligation qui contraint directement le ou la futur·e locataire de l’Élysée. Pourtant, le climat est toujours le grand absent des débats de la présidentielle.
Pendant toute la campagne, les organisations de l’Affaire du Siècle ont mesuré chaque semaine le poids des questions climatiques dans le débat présidentiel. Le Baromètre climat mis en place avec Onclusive a démontré que les questions climatiques ne dépassaient pas la barre des 2,8% de bruit médiatique. Elles ont alors décidé d’organiser leur propre débat présidentiel. Tenu le 13 mars 2022, avant les principaux débats télévisés entre candidat·e·s à l’élection présidentielle, le Débat du Siècle a été le premier acte débat présidentiel entièrement dédié aux questions climatiques. Les candidates et candidats ont tour à tour répondu aux questions de Jean Massiet et Paloma Moritz pour expliquer aux Français·e·s comment ils et elles comptaient respecter la décision de justice prononcée dans le cadre de l’Affaire de siècle, à savoir : corriger le surplus de 15 mégatonnes émissions de gaz à effet de serre émises par la France entre 2015 et 2018 avant le 31 décembre 2022 et plus globalement respecter les objectifs de la Stratégie nationale bas carbone.
Le 14 octobre 2022, à moins de trois mois de la date butoir fixée par le tribunal administratif (le 31 décembre 2022), l’Affaire du Siècle s’est rendue dans une forêt ravagée par le feu près de Landiras (Gironde), pour interpeller le gouvernement : un an après sa condamnation, l’Etat n’en fait pas toujours pas assez. Les organisations ont listé des mesures à prendre de toute urgence pour surmonter l’hiver, tout en préparant l’avenir. Yann Robiou du Pont, docteur en climatologie, et Jacques Hazera, propriétaire forestier, sont venus à nos côtés attester des impacts dramatiques déjà causés par le dérèglement climatique.
Le 31 décembre 2022, le délai donné par le Tribunal Administratif de Paris à l’Etat français pour agir afin de limiter ses émissions de gaz à effet de serre a expiré. Les associations de l’Affaire du Siècle constatent que l’Etat n’a pas agi suffisamment depuis le jugement du 14 octobre 2021 le condamnant. Elles ont envoyé le 20 décembre un courrier officiel au Gouvernement et demanderont, début 2023, une astreinte financière.
Les fondements juridiques de l’Affaire du Siècle
Ce recours se fonde sur de nombreux textes juridiques, qui imposent à l’Etat d’agir en matière de lutte contre les changements climatiques, que ce soit sur le plan de l’atténuation (s’attaquer aux causes – réduction des émissions de gaz à effet de serre et protection des puits de gaz à effet de serre) ou de l’adaptation (prévenir les conséquences – réduire la vulnérabilité des populations et des systèmes naturels face aux changements climatiques).
Il s’agit à la fois de textes de droit international (Convention-cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques, Accord de Paris…), de droit européen (Paquet Climat-Énergie, directive 2009/28/CE relative à la promotion de l’utilisation des énergies renouvelables) et du droit du Conseil de l’Europe (Convention européenne des droits de l’homme) et bien évidemment de droit national (Constitution, Loi relative à la transition énergétique, Programmation Pluriannuelle de l’Énergie…). Tous affirment et imposent à l’État d’agir dans les plus brefs délais, parfois même en imposant de stricts objectifs à atteindre avant une date précise.
Les étapes
L’Affaire se déroule en plusieurs grandes étapes :
- Étape 1 – Avant le tribunal
Le 17 décembre 2018, nos 4 organisations Notre Affaire à Tous, la Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH), Greenpeace France et Oxfam France envoient une lettre de 41 pages à certains ministres, appelée “demande préalable indemnitaire”, étape obligatoire avant toute procédure au tribunal. Ce courrier démontre l’inaction de l’État depuis des décennies face aux changements climatiques et demande une réparation des préjudices causés par cette inaction. L’État a alors deux mois pour y répondre, ou non. Le 15 février 2019, dans un mémo de 10 pages, le gouvernement rejette cette demande. - Étape 2 – Début de la procédure judiciaire
Le 14 mars 2019, suite au rejet du gouvernement de la demande préalable indemnitaire, un dépôt du recours “en plein contentieux” a lieu devant le Tribunal Administratif de Paris. - Étape 3 – L’instruction
Elle débute réellement le 20 mai 2019, lorsque les 4 associations de l’Affaire du Siècle déposent leur mémoire complémentaire (93 pages) c’est-à-dire l’ensemble des pièces et arguments en leur possession.
Au cours de l’instruction, les parties soumettent leurs arguments à travers des mémoires.
Le 23 juin 2020, soit plus d’un an après le début de la procédure, et sous la pression du tribunal, l’État dépose enfin son “mémoire en défense” (18 pages). Contrairement à l’Affaire du Siècle, l’État a choisi de ne rendre aucun de ses arguments publics.
Au même moment, trois organisations rejoignent le recours en soutien à l’Affaire du Siècle, par des “interventions volontaires” : la Fédération Nationale d’Agriculture Biologique, la Fondation Abbé Pierre et France Nature Environnement.
Le 6 septembre 2020, en réponse aux arguments présentés par l’État, l’Affaire du Siècle dépose un “mémoire en réplique” (65 pages) auquel nous ajoutons une centaine de témoignages de citoyennes et citoyens, issus de notre cartographie #TémoinDuClimat.
Le tribunal administratif décide de clore l’instruction au 9 octobre 2020. - Étape 4 – Audience et jugement
L’audience se déroule le 14 janvier 2021. La rapporteure publique y présente ses conclusions, c’est-à-dire la décision qu’elle recommande au tribunal de prendre.
Le tribunal administratif de Paris rend sa décision 3 semaines plus tard : c’est une victoire historique pour le climat !
Les juges décident de rouvrir l’instruction et demandent aux parties des éléments complémentaires pour leur permettre de “déterminer avec précision les mesures qui doivent être ordonnées à l’État”. - Étape 4 bis – Nouvelle instruction
Les parties échangent de nouveaux arguments. Le 6 avril 2021, l’Affaire du Siècle dépose des “observations complémentaires” (101 pages) pour répondre à la demande des magistrats et à des arguments, déposés hors délais le 8 janvier 2021, par l’État. - Étape 4 ter – Deuxième audience et décision définitive
La deuxième audience se déroule le 30 septembre 2021. La rapporteure publique y présente à nouveau ses conclusions.
Le tribunal administratif de Paris rend sa décision définitive 2 semaines plus tard : c’est une nouvelle victoire pour le climat ! - Étape 5 – L’appel
Si l’une des parties fait appel du jugement, l’Affaire sera portée devant la Cour administrative d’appel de Paris. - Étape 6 – Le Conseil d’Etat
Si l’une des parties n’est pas satisfaite de l’arrêt de la Cour administrative d’appel, elle pourra saisir le Conseil d’État.
Les documents juridiques
Les documents juridiques relatifs à la procédure sont disponibles ici :
Demande préalable (PDF) – 17 décembre 2018
Dossier et communiqué de presse (PDF) – 14 mars 2019
Brief juridique – Fondements de la démarche (PDF) – 14 mars 2019
Argumentaire du mémoire complémentaire – 20 mai 2019
Les interventions volontaires de la Fédération Nationale d’Agriculture Biologique, la Fondation Abbé Pierre et de France Nature Environnement – 23 juin 2020
Argumentaire du mémoire en réplique et les témoignages ajoutés au dossier – 3 septembre 2020
La décision du tribunal administratif – 3 février 2021
Observations complémentaires de l’Affaire du Siècle – 6 avril 2021
La justice climatique aussi devant le Conseil d’État
En décembre 2018, la ville de Grande-Synthe a déposé un recours climatique devant le Conseil d’État, dans une procédure différente et complémentaire à celle menée par l’Affaire du Siècle.
Les organisations de l’Affaire du Siècle rejoignent ce recours en déposant, en février 2020 une intervention volontaire devant le Conseil d’État. Le dossier est également soutenu par les villes de Grenoble et Paris.
Le 19 novembre 2020, le Conseil d’État rend une première décision, et juge que les objectifs climatiques de la France à l’horizon 2030 et 2050 sont contraignants. La haute juridiction administrative donne alors 3 mois à l’État pour démontrer que la France pourra respecter les objectifs et trajectoires prévues. L’Affaire du Siècle dépose, le 19 février 2021, un nouveau mémoire, qui s’appuie sur une étude de plus de 250 pages réalisée par Carbone 4.
Le Conseil d’État a annoncé une nouvelle audience puis une décision à l’été.
Et après ?
L’Affaire du Siècle a déjà obtenu une victoire historique en faisant reconnaître l’illégalité de l’inaction climatique de l’État, sa responsabilité dans la crise climatique, et le préjudice écologique ainsi causé.
Nous avons bon espoir d’obtenir une deuxième victoire, plus historique encore : que le tribunal administratif et le Conseil d’État prononcent une injonction à agir à l’encontre de l’État, c’est-à-dire que la justice contraigne la France à agir à la hauteur de ses engagements climatiques !
Ailleurs dans le Monde, des tribunaux ont déjà contraint des États à agir face aux dérèglements climatiques !
En France, l’État a été condamné à plusieurs reprises pour avoir manqué à ses obligations en matière de protection de la santé publique ou de l’environnement. Ce fut le cas de l’affaire du sang contaminé (1993), de l’amiante (2004), de la pollution par nitrates (2009).
Il est temps d’engager une révolution climatique pour la justice sociale. L’ensemble des politiques publiques doivent changer pour prendre pleinement en compte les impératifs climatiques, de protection de la biodiversité, et de lutte contre les inégalités.
Nous identifions 6 actions prioritaires qui, parmi d’autres mesures, permettraient de remédier en partie à ses carences climatiques, tout en réduisant les injustices sociales:
- Instaurer une fiscalité socialement juste au service de la lutte contre le changement climatique
- Créer un service public local de la rénovation énergétique des logements dans tous les territoires
- Donner la possibilité à toutes et tous de se déplacer plus proprement
- Instaurer le droit à une alimentation saine et durable pour toutes et tous
- Développer massivement des énergies renouvelables
- Mettre fin aux cadeaux aux grandes entreprises
Ces actions, ainsi que les autres mesures à mettre en oeuvre, auront un impact positif sur chacune et chacun d’entre nous, ainsi que sur notre société. Protéger le climat et respecter les engagements climatiques de la France passe par des mesures de justice sociale et de solidarité.
L’Affaire du Siècle est notre affaire à toutes et à tous.