Nouvelle étape : nos demandes devant les juges pour que l’Etat respecte sa trajectoire climatique

Ce mardi 6 avril, l’Affaire du Siècle a déposé de nouveaux éléments scientifiques et juridiques, pour permettre aux juges de “déterminer avec précision les mesures qui doivent être ordonnées à l’État”[1] pour que la France respecte enfin ses engagements pour le climat et compense son inaction passée.

Une question inédite en droit

Rappelez-vous, le 3 février 2021, dans une décision historique, la justice a reconnu l’illégalité de l’inaction climatique de la France, et le préjudice écologique causé par ses émissions excessives de gaz à effet de serre. La faute de l’État établie, le tribunal administratif de Paris devrait désormais condamner l’État à agir en conséquence.
Les juges ne se substituent pas au gouvernement et au parlement : le pouvoir judiciaire n’a pas pour rôle de définir la politique climatique de la France. En revanche, le tribunal peut contraindre l’État à enfin respecter ses propres engagements !

👉 Lire les “observations complémentaires” de l’Affaire du Siècle, déposées le 6 avril

 

Climat : quand l’État est hors-la-loi

Dans les 100 pages que nous avons déposées cette semaine au tribunal, nous avons donc démontré en détail que les mesures prises jusqu’ici ne permettent pas à la France de respecter ses objectifs. Nous avons également signalé aux juges un certain nombre de points sur lesquels l’État n’applique pas la loi.

Ainsi, par exemple, un an et demi après l’adoption de la première loi Énergie-climat du quinquennat d’Emmanuel Macron, moins de la moitié des décrets et ordonnances ont été publiés. Ces textes sont pourtant essentiels à la mise en œuvre effective de la rénovation énergétique des bâtiments, un secteur clé pour lutter contre le réchauffement climatique.

Pire encore, alors que le secteur des transports est non seulement le secteur le plus émetteur, mais également le seul secteur dont les émissions ont augmenté depuis 1990 [2], moins d’un quart des mesures d’application de la loi d’orientation des mobilités (LOM) de 2019, existent. Un frein majeur au développement des mobilités douces et du ferroviaire…

Nous soulignons également qu’aucun dispositif de suivi et d’évaluation des mesures n’est en place, même quand ils sont prévus dans la loi !

 

En dépit des preuves, le gouvernement continue de nier

Avec mauvaise foi, l’État continue, dans ses mémoires déposés en janvier, à prétendre que sa politique climatique est suffisante, et met en avant le respect des budgets carbone en 2019 et 2020. Nous rappelons donc aux juges que le budget carbone de 2019 a été rehaussé de près de 5%, soit presque au même niveau que la période 2015-2018, précisément parce que la France n’avait pas réussi à respecter ses objectifs sur cette période ! C’est comme si, pour réussir une épreuve de saut en hauteur, l’État abaissait la barre afin de la franchir plus facilement.
Quant à 2020, si les émissions de la France ont baissé, c’est uniquement dû à la crise du Covid-19, et non à la mise en place d’actions structurantes pour le climat.

Comme dans son précédent mémoire, l’État joue la carte de la quantité plutôt que de la qualité et affirme que de nombreuses mesures ont été mises en place… sans les détailler, ni justifier de leur impact supposé sur les émissions de gaz à effet de serre françaises.

Ainsi par exemple, dans le secteur des bâtiments, l’étude réalisée par Carbone 4 pour l’Affaire du Siècle, montre qu’au mieux, les mesures engagées et vantées par le gouvernement “ne permettraient d’effectuer qu’un peu plus de la moitié des rénovations requises par la Stratégie nationale bas carbone sur la période (2,7 millions contre 4,5 millions) pour espérer atteindre les objectifs climat de la France sur le résidentiel.

Sur les transports, l’État met en avant le soutien à l’achat de “véhicules à faibles émissions”, alors même que le Haut Conseil pour le Climat juge cette mesure “ambigüe” et signale que “le seuil d’éligibilité actuel est néanmoins totalement incohérent avec le signal d’une transition bas-carbone rapide.” L’État est par contre particulièrement silencieux sur son absence de soutien au ferroviaire, un levier pourtant essentiel pour la transition écologique…

 

La France doit agir, vite

Nous demandons donc aux juges de contraindre l’État à agir, et en particulier à mettre en place les mesures nécessaires et prévues par la loi, pour :

  • respecter les objectifs de réduction des émissions de GES qu’il s’est fixés ;
  • développer les transports ferroviaires ;
  • faire véritablement évoluer le parc automobile français vers des véhicules à faibles émissions ;
  • soutenir les mobilités douces ;
  • rénover effectivement 500 000 logements par an ;
  • rattraper le retard accumulé par le passé sur la rénovation énergétique ;
  • augmenter la surface agricole en bio ;
  • réduire la consommation d’engrais ;
  • réduire la consommation de viande ;
  • effectuer un suivi et une évaluation sincères de la politique climatique de la France.

Nous insistons sur l’urgence qu’il y a à agir, comme le tribunal l’a lui-même souligné, “le non-respect de la trajectoire [que l’État] s’est fixée pour atteindre ces objectifs engendre des émissions supplémentaires de gaz à effet de serre, qui se cumuleront avec les précédentes et produiront des effets pendant toute la durée de vie de ces gaz dans l’atmosphère, soit environ 100 ans, aggravant ainsi le préjudice écologique”.

 

Une nouvelle feuille de route pour la France est nécessaire

Un texte en particulier encadre la politique climatique de la France : la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), qui est censée être notre feuille de route pour arriver à la neutralité carbone en 2050.
Or la SNBC, telle qu’elle est rédigée, présente de nombreuses limites. D’une part, la trajectoire prévue n’est pas crédible, en repoussant l’essentiel de l’effort de réduction à plus tard. D’autre part, la SNBC ne prend en compte que les “émissions territoriales” de la France, c’est-à-dire uniquement les gaz à effet de serre émis sur le territoire français, et ne comptabilise donc pas les émissions liées au transport international et les “émissions importées”, celles générées par la fabrication à l’étranger de produits consommés en France. Ces dernières représentent pourtant 57% de notre empreinte carbone.

Enfin, l’Union européenne est sur le point de relever à 55% (contre 40% aujourd’hui) l’objectif de réduction des émissions à l’horizon 2030, il faut donc dès maintenant anticiper l’effort supplémentaire.

C’est pourquoi nous demandons également à la justice d’ordonner à l’État de revoir sa copie, et de réécrire une politique climatique qui permette effectivement à la France de respecter ses engagements pour le climat.

👉 Lire les “observations complémentaires” de l’Affaire du Siècle, déposées le 6 avril

 

Les prochaines étapes

L’État peut à nouveau déposer des mémoires pour faire valoir ses arguments, auxquels nous répondrons si cela nous semble nécessaire. Les juges examineront en détail les faits et arguments exposés, puis fixeront une nouvelle date d’audience.
Le Tribunal administratif de Paris pourrait décider d’attendre la décision que rendra le Conseil d’Etat sur le recours de Grande-Synthe, que nous soutenons également, avant de rendre son jugement dans l’Affaire du Siècle. Ce dernier pourrait donc intervenir entre l’été et la fin de l’année.


[1] Paragraphe 39 de la décision du tribunal administratif de Paris

[2] Selon les statistiques du Ministère de la transition écologique et solidaire