Climat : l’Etat français persiste dans l’inaction

Le thermomètre d'une pharmacie en Bourgogne, en août 2020, indique 41°C. Photo : © Denis Meyer / Greenpeace

© Denis Meyer / Greenpeace

Doublement condamné pour inaction climatique, l’Etat français n’a toujours pas rectifié le tir. D’après un nouveau mémoire déposé auprès du Conseil d’Etat, les mesures adoptées par le gouvernement entre janvier 2021 et mars 2022, à la suite de la condamnation de la France dans le cadre du recours de la commune de Grande-Synthe, s’avèrent très insuffisantes. Elles ne permettent clairement pas de remettre la France sur la trajectoire qu’elle s’est pourtant elle-même engagée à suivre (réduire de 40% les émissions de gaz à effets de serre d’ici 2030) et qui est pourtant moins ambitieuse que celle au niveau européen (-55% des émissions à 2030).

Le gouvernement a-t-il enfin suffisamment réagi après la double condamnation de l’Etat pour inaction climatique, dans l’Affaire du Siècle et le cas Grande-Synthe ? La conclusion d’un mémoire réalisé à la demande des quatre organisations de l’Affaire du Siècle (Notre affaire à tous, la Fondation pour la Nature et l’Homme, Greenpeace France et Oxfam France) pour le recours de Grande-Synthe est claire : non ! Sur les onze paramètres structurants des secteurs les plus émetteurs de gaz à effets de serre en France (transport de personnes, logements, agriculture) seulement trois sont sur la bonne trajectoire. Pour les huit autres secteurs clés, les mesures prises par le gouvernement de janvier 2021 à mars 2022 maintiennent la France hors des clous.

Ces nouvelles preuves surviennent alors que le pays subit actuellement une vague de chaleur particulièrement intense et aux lourdes conséquences pour la santé des plus fragiles, l’économie et les territoires, notamment agricoles. Moins l’État agit à la hauteur du défi climatique, plus les Français subiront de manière dramatique l’intensification de ces phénomènes climatiques…

Un seul nouveau secteur clé a progressé suffisamment

Une nouvelle encourageante à souligner : d’après ce nouveau mémoire, le levier « logements chauffés au fioul » a suffisamment progressé pour que l’objectif à 2030 soit atteignable. La baisse du nombre de logements chauffés au fioul devrait effectivement atteindre le niveau souhaité avant la prochaine décennie, soit moins de 1,1 million de logements. Une progression rendue possible grâce à l’interdiction des chaudières à fioul pour toute nouvelle installation de chauffage à partir du 1er juillet 2022.

Ce levier « logements chauffés au fioul » vient ainsi rejoindre deux autres paramètres qui avaient été identifiés dans le premier rapport de février 2021 comme étant sur la bonne trajectoire : la part des légumineuses et la part modale du vélo. C’est donc une légère amélioration par rapport à l’année dernière, mais la France reste encore loin de ses objectifs fixés au niveau national (-40% des émissions de gaz à effets de serre à horizon 2030) et encore moins au niveau européen (-55%).

Mesures insuffisantes, avancées trop faibles

Reste donc huit paramètres structurants sur onze pour lesquels l’Etat français est loin, voire très loin du compte.

Deux d’entre eux ont évolué significativement sans pour autant permettre d’atteindre les objectifs d’ici 2030 :

  • la part de véhicules à faibles émissions dans le parc de véhicules en 2030, qui passerait de 3% à 11%, se rapprochant donc de la cible de 15 % fixée dans la Stratégie nationale bas carbone (SNBC). Une évolution importante qui s’explique notamment par l’obligation de part minimale d’achat de véhicules à faibles émissions par les entreprises privées gérant un parc de plus de 100 véhicules, issue de la Loi Climat et Résilience, mais aussi par les ventes records de ces véhicules en 2021 ;
  • la part de l’agriculture biologique dans la surface agricole utile en 2030 évoluerait elle-aussi, mais beaucoup plus faiblement, restant en-deçà de la cible de 32% fixée par la SNBC. Quelle est la raison ? Ces projections sont notamment dues à l’évolution des dotations à l’agriculture biologique du Plan Stratégique National (déclinaison française de la PAC), qui augmentent pour les conversions, mais diminuent dans le cadre de la rémunération des systèmes déjà en place. D’ailleurs, la Commission européenne pointe du doigt un risque de déconversion à partir de 2023…

Pour les six paramètres restants, ni mesures suffisantes ni avancées significatives n’ont été relevées ces derniers mois. Ces éléments clés sont pourtant essentiels dans la lutte contre le changement climatique : croissance du trafic ferré et nombre de passagers par voiture, pour le volet transport ; augmentation du nombre de rénovations sur 2015-2030 et baisse du nombre de logements au gaz, pour le volet bâtiment ; et diminution de la taille du cheptel bovin viande et hausse du pourcentage de déjections méthanisées, pour le volet agriculture.

Quelles sont les prochaines étapes ?

Le 1er juillet 2021, le Conseil d’Etat avait ordonné au gouvernement en place de prendre « toutes mesures utiles » avant le 31 mars 2022 pour infléchir la courbe des émissions de gaz à effets de serre et respecter les engagements de la France. Or, ce nouveau mémoire réalisé à la demande des associations de l’Affaire du Siècle, démontre clairement que l’Etat français persiste dans son inaction.

Dans le cadre du recours de Grande-Synthe, les quatre organisations de l’Affaire du Siècle demandent donc à la justice de condamner l’Etat à une astreinte financière de condamner l’Etat à une astreinte financière de 75 millions d’euros par semestre d’illégalité climatique. Nous proposons que cette astreinte soit versée à des entités publiques qui ont un rôle à jouer dans l’atteinte d’une transition climatique juste : le Haut Conseil pour le Climat (HCC), l’Ademe, l’Agence nationale de l’habitat (ANAH), l’Agence de financement des infrastructures de transport (AFIT) et l’Office Français de la Biodiversité (OFB).

Et maintenant ? Le Conseil d’État va examiner les argumentaires et preuves déposées par les différentes parties.

Par ailleurs, cette fois dans le cadre de l’Affaire du Siècle et à la suite d’une décision du tribunal administratif de Paris, l’État a jusqu’au 31 décembre 2022 pour réparer les graves dommages causés à l’environnement par son inaction climatique, en mettant en œuvre des actions concrètes et très rapides de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Nous serons évidemment au rendez-vous pour rappeler à l’Etat ses engagements et sortir au plus vite la France de l’inaction climatique.

Lire le rapport complet : Depuis sa condamnation, l’Etat français s’est-il donné les moyens de son ambition climat (juin 2022)

Photo : © Denis Meyer / Greenpeace France