Lundi 3 avril, le CITEPA a publié les pré-estimations des émissions de gaz à effet de serre de la France en 2022. Si la baisse anticipée d’environ 2,5 % par rapport à 2021 va dans le bon sens, elle est malheureusement insuffisante et n’est pas liée à des actions structurelles du gouvernement. Par ailleurs, cette baisse ne permettra pas à l’État de sortir de l’illégalité climatique constatée par le juge administratif.
Si l’on a pu entendre le gouvernement se féliciter de la réduction des émissions de GES en 2022, il serait plus honnête et responsable de reconnaître que cette baisse est en grande partie liée à des facteurs conjoncturels et non à des mesures durables.
Les baisses constatées dans le secteur de l’industrie s’expliquent en bonne partie par la hausse notable des prix de l’énergie et l’arrêt forcé de certains sites. Les moindres émissions du secteur du bâtiment, si elles sont en partie liées à l’effort exemplaire (mais souvent subi) de millions de Français.e.s en matière de sobriété, sont aussi imputables à un hiver particulièrement doux et à la hausse des prix. L’appel à des efforts de sobriété a par ailleurs été pris dans l’urgence de la crise énergétique et mis en œuvre de manière largement inégalitaire.
Des éléments contextuels d’ailleurs mis en avant par le CITEPA, comme l’indique Colas Robert, ingénieur au CITEPA : « Reste à savoir si l’on pourra bientôt observer une baisse pérenne des émissions, liée à des facteurs structurels ». La réponse est non en l’état actuel des mesures prises et du retard dans la planification écologique.
Il est essentiel de rappeler que le gouvernement, faute d’être parvenu à respecter ses objectifs pour la période 2015-2018, a relevé ses budgets carbone, c’est-à-dire ses plafonds d’émissions, pour la période 2019-2023. L’objectif de réduction en 2022 est d’autant plus insuffisant qu’il a été revu à la baisse et reporte une grande partie de l’action climatique à plus tard.
Selon notre analyse, les mesures prises ne nous permettront pas d’atteindre une trajectoire de baisse structurelle et un objectif de réduction aujourd’hui fixé à -40% en 2030. D’autant que cet objectif doit être rehaussé en 2023-2024 pour se mettre en conformité avec les objectifs européens : la France devra alors réduire ses émissions de 50 % en brut (contre – 40 % auparavant) et près de – 55 % en net (en incluant l’absorption du CO2 par les puits de carbone comme les forêts).
Dans son rapport annuel de juin, le Haut Conseil pour le climat expliquait ainsi que le rythme annuel de réduction des émissions doit doubler, pour atteindre – 4,7 % par an en moyenne entre 2022 et 2030. Mais le gouvernement a d’ores et déjà annoncé du retard dans l’intégration de ces nouveaux objectifs plus ambitieux.
Même dans le cas où l’État respecterait la trajectoire peu ambitieuse qu’il s’est fixée, il n’en resterait pas moins dans l’illégalité climatique. En effet, lorsque l’État a été condamné en octobre 2021 dans le cadre de l’Affaire du Siècle, le tribunal administratif de Paris l’avait enjoint, en plus de ses objectifs de baisse d’émissions, à réaliser un effort supplémentaire de 15 mégatonnes de CO2e pour compenser le préjudice causé par ses dépassements passés. Une estimation entre temps revue à la hausse par le CITEPA.
L’inaction climatique a un coût qui est largement sous-évalué. Des mesures fortes et planifiées aujourd’hui coûteront moins cher que des mesures prises trop tardivement pour réussir à enrayer les dommages causés par le dérèglement climatique et atteindre la neutralité carbone en 2050. Tout retard aura des conséquences graves sur les plus impacté.es d’entre nous. Toute mesure prise dans l’impréparation se fera au dépend des plus précaires.
Nous réaffirmons donc nos déclarations de décembre 2022 : le gouvernement n’a pas sorti la France de l’illégalité climatique et nous poursuivrons le combat devant les tribunaux pour l’obliger à agir à la hauteur des enjeux et des attentes légitimes des citoyens et citoyennes.
Parce que les contentieux climatiques jouent un rôle majeur pour contraindre les dirigeants à agir, comme le rappelait récemment le GIEC, nous continuerons à maintenir la pression sur l’État français pour qu’il prenne enfin des mesures à la hauteur des enjeux.
Mercredi prochain 12 avril, dans le cadre de l’Affaire Grande-Synthe, une audience aura lieu afin de déterminer si les actions de l’État sont suffisantes pour respecter nos objectifs climatiques à l’horizon 2030. A la demande de l’Affaire du Siècle et de la commune de Grande-Synthe, le Conseil d’État pourrait ainsi condamner l’État à dédier 75 millions d’euros par semestre à la transition climatique tant que des mesures suffisantes n’auront pas été prises.
Dans le cadre de l’Affaire du Siècle, nous demanderons également d’ici l’été à ce que l’État soit contraint de payer une astreinte historique pour réparer le coût de son inaction (le préjudice écologique), dont les impacts délétères sur les citoyens français sont déjà visibles (feux de forêts catastrophiques de l’été 2022, vagues de chaleur et inondations à répétition, progression du niveau de la mer sur nos littoraux…).