L’Affaire du Siècle vient de déposer une “intervention volontaire”, c’est-à-dire d’ajouter ses arguments au dossier de Grande Synthe, la commune qui a attaqué l’Etat devant le Conseil d’Etat en novembre 2018.
Pour mieux comprendre ce qui lie ces deux affaires françaises de justice climatique, nous avons interviewé Corinne Lepage, l’avocate de Grande Synthe, et Clément Capdebos, qui répond au nom du collectif de juristes, d’universitaires et d’avocats, représentant les quatre organisations de l’Affaire du Siècle*.
CLÉMENT CAPDEBOS : Le recours introduit par la commune de Grande-Synthe devant le Conseil d’Etat présente une proximité certaine avec celui déposé, en mars 2019, par les organisations de l’Affaire du Siècle, devant le Tribunal administratif de Paris : dans les deux cas, les obligations de l’Etat en matière de lutte contre le changement climatique sont au cœur des débats. Le Conseil d’Etat devrait certainement se prononcer sur le recours de Grande-Synthe avant que le Tribunal administratif de Paris ne rende son jugement dans l’Affaire du Siècle. Il s’agira d’une décision importante, puisqu’elle constituera la première rendue en France, et par une juridiction suprême, en matière de contentieux climatique. Il était donc important pour nous de soutenir l’action de Grande-Synthe et d’y apporter nos arguments.
CORINNE LEPAGE : L’intervention des associations de l’Affaire du Siècle dans le recours de Grande-Synthe, le premier engagé chronologiquement, est importante par l’effet de masse qu’elle représente. Après les villes de Paris et Grenoble, qui ont rejoint l’initiative avec des recours en intervention très motivés, l’intervention volontaire de l’Affaire du Siècle renforce considérablement notre action. C’est d’autant plus important que notre dossier sera le premier procès en carence climatique contre la France, jugé qui plus est par une cour suprême.
CORINNE LEPAGE : Le fond du dossier est le même pour les deux affaires puisqu’il s’agit de mettre en lumière l’inaction de l’État face aux obligations qui étaient les siennes. En revanche, les actions sont quelque peu différentes : du côté de Grande-Synthe, nous avons un recours pour excès de pouvoir ; du côté de l’Affaire du Siècle, un recours en responsabilité. L’argumentation juridique n’est pas la même non plus. L’action Grande-Synthe s’appuie en effet sur le droit de l’Union européenne ainsi que sur le droit de la Cour européenne des droits de l’Homme (dont sont membres 47 pays). C’est notamment sur cette dernière que s’appuie la jurisprudence Urgenda venue des Pays-Bas qui repose sur le droit à la vie.
CLÉMENT CAPDEBOS : En effet, les deux actions sont d’une nature différente et reposent sur une argumentation distincte. Mais dans les deux cas, il s’agit de démontrer que l’Etat méconnaît ses obligations, générales et spécifiques, de lutte contre le changement climatique, et ne respecte pas les objectifs qui lui sont assignés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, d’amélioration de l’efficacité énergétique, d’augmentation des énergies renouvelables et d’adaptation au changement climatique.
CORINNE LEPAGE : Nous attendons maintenant un éventuel “mémoire en duplique” de l’État (une nouvelle réponse de l’Etat aux arguments de Grande Synthe) pour répondre le cas échéant. Puis ce sera l’audience devant le Conseil d’État, certainement dans le courant de l’année 2020, peut-être même avant l’été. Une question préjudicielle pourrait être posée à la Cour de justice de l’Union Européenne par le Conseil d’État. Nous espérons bien gagner mais, dans l’hypothèse la plus pessimiste, nous avons prévu la possibilité d’aller devant la Cour européenne des droits de l’homme.
CLÉMENT CAPDEBOS : Compte tenu de la proximité des problématiques, la décision du Conseil d’État présentera, pour l’Affaire du Siècle, un intérêt certain. Parce qu’il s’agira de la première décision rendue, en matière de justice climatique en France, elle posera les jalons de la jurisprudence et aura certainement un impact sur le jugement que rendra le Tribunal administratif de Paris.
Une victoire de la commune de Grande-Synthe constituerait évidemment un signal positif pour l’Affaire du Siècle, ainsi qu’un argument supplémentaire en faveur de la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat. Mais, à l’inverse, une réponse négative du Conseil d’Etat ne signifierait pas, de facto, un échec de l’Affaire du Siècle : les deux recours sont d’une nature distincte, et reposent chacun sur une argumentation propre.
En tout état de cause, quel que soit le sens de la décision rendue par le Conseil d’Etat, nous l’étudierons avec soin, pour appuyer notre argumentation auprès du Tribunal Administratif et tout mettre en œuvre pour emporter la conviction du juge.
*Le Cabinet VIGO pour Notre Affaire A Tous, Clémentine Baldon pour la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme (FNH), Clément Capdebos pour Greenpeace France, et le cabinet Arié Alimi Avocats pour Oxfam France.